dimanche 28 octobre 2007

Vendredi 26 octobre s’est déroulée, de manière assez discrète, la journée européenne de solidarité avec six prisonniers mapuches au Chili, qui ont entamé une grève de la faim le 10 octobre dernier pour revendiquer leurs droits – à la liberté, à la parole, à l’existence citoyenne. Comme de nombreux autres détenus indigènes, les grévistes sont emprisonnés sous l’application des lois antiterroristes mises en place pendant la dictature du général Pinochet, qui permettent la condamnation et la mise en détention de toute personne opposante à l’État en place… Officiellement, ces lois, bien que figurant toujours dans la constitution chilienne, ne sont plus appliquées par le gouvernement de centre-gauche de Michelle Bachelet. Pourtant, les indigènes Mapuche, qui réclament la reconnaissance de leur communauté, de leur langue, de leurs traditions, ainsi que la réappropriation d’une partie de leurs terres d’origine sont toujours régulièrement criminalisés au Chili.

Qui sont les Mapuche ? Quels malentendus, quels problèmes pèsent autour de leur reconnaissance ? Cet article a pour but d’apporter quelques éléments à la compréhension de ce problème historique du Chili.

1. Les Mapuche des origines à l’Indépendance chilienne (1818)

Le Chili compte actuellement trois ethnies autochtones : les Rapa Nui, habitants de l’Île de Pâques, dont environ 1500 se disent descendants des peuplades originaires de l’île ; les Aymaras (« Fils du soleil »), héritiers des Incas, dont la population est essentiellement concentrée en Bolivie et au Pérou, mais qui sont environ 40'000 au Nord du Chili ; et les Mapuche (« Gens de la terre »), dont les terres d’origine se situent au centre-sud du pays, de Concepción a Puerto Montt. Ils sont environ 620'000 au Chili (qui compte actuellement 15'000'000 d’habitants au total), et 200'000 de l’autre côté de la Cordillère des Andes, en Argentine. S’il est difficile de savoir précisément d’où sont originaires les Mapuche, il est en tout cas certain qu’au moment de la conquête espagnole du Chili, en 1535, ils étaient environ 900'000.

Les spécificités de cette population étaient, d’abord, de vivre des ressources directement accessibles dans la nature (animaux, poissons, fruits, pignons) et, dans une moindre mesure, d’une agriculture sommaire de patates et de haricots, et de quelques formes très élémentaires d’élevage (essentiellement de poules et de cochons). Par ailleurs, leur structure sociale était horizontale : les Mapuche étaient organisés en familles (au sens large du terme), toutes égales, qui se groupaient en communautés. Les décisions importantes étaient prises par des assemblées qui représentaient les communautés et qui élisaient des chefs. Mais il n’y avait dans la culture mapuche aucune classe sociale, aucune notion d’État, aucune hiérarchie religieuse. La propriété individuelle n’existait pas, la terre appartenant à tout un chacun.

Au moment de l’invasion espagnole, le premier problème des Mapuche fut la nécessité d’adopter une structure verticale, guerrière, un système d’alliances pour résister de manière organisée. Le défi fut assez bien relevé et les Espagnols rencontrèrent au sud du Chili une résistance indigène extrêmement forte. Comme pour les Incas ou les Aztèques, l’un des grands chocs de la rencontre entre colons et populations indigènes fut par ailleurs l’apparition du cheval et des armes à feu. Si les Mapuche n’adoptèrent jamais ces dernières, ils s’approprièrent rapidement les chevaux et devinrent de redoutables cavaliers dès le début du XVIIe siècle. Leur capacité d’adaptation leur valut donc de pouvoir s’imposer face à une armée espagnole qui ne pouvait pas appliquer, comme partout ailleurs, la stratégie de destruction des structures étatiques de la société mapuche, puisque celles-ci n’existaient pas. La plaie la plus difficile pour les Mapuche, durant les soixante premières années de l’invasion espagnole fut donc, avant tout, les épidémies, qui décimèrent 30% de la population. Face à la résistance mapuche, les Espagnols optèrent dès 1640 pour l’établissement d’accords. Ils reconnurent l’indépendance du peuple mapuche et se retirèrent presque intégralement de leurs territoires. Plusieurs frottements marquèrent les années qui suivirent, certains colons essayant régulièrement de s’approprier des territoires mapuches, mais jusqu’en 1818, les Mapuche et les Espagnols instaurèrent une politique d’échange teintée de méfiance. La grande modification qui marque la société mapuche après la conquête espagnole est, d’une part, l’adoption d’une structure sociale verticale, d’une véritable institution militaire, et de hiérarchies qui jusqu’alors n’avaient jamais existé. D’autre part, l’économie, l’élevage, les cultures, se développèrent de manière notoire, puisque les Mapuche n’avaient aucun mal à s’approprier les matériaux et les savoirs importés par les Espagnols.

2. Le drame de l’indépendance chilienne

Au moment où commencent les premières luttes pour l’indépendance chilienne, menée par les « criollos » contre les Espagnols, les Mapuche entrent dans l’époque la plus difficile de leur histoire, qui se prolonge, pour ainsi dire, jusqu’à aujourd’hui. Alliés aux Espagnols par leurs accords de paix, les Mapuche commencèrent par prendre le parti des colons contre les indépendantistes. Lorsque les Espagnols furent vaincus et l’indépendance du Chili proclamée, les pères de la patrie, au nom de l’égalité de tous les citoyens du pays, suppriment le statut des Mapuche comme peuple indépendant et, par conséquent, l’idée d’un territoire spécifiquement mapuche. Les Chiliens, puis les émigrés européens, colonisent le sud du Chili. Ignorant le concept de propriété individuelle, ceux-ci deviennent acteurs d’un marché qu’ils ne comprennent pas (les Mapuche ne parlent pas l’Espagnol, mais le Mapudungun, leur langue originaire), signent des droits de propriété qui impliquent soudain l’apparition de structures et de pouvoirs héréditaires dans une société qui ignore ces notions. Bref, les Mapuche sont rapidement spoliés et réunis par les Colons dans des « réserves » - les plus mauvaises terres. Dès le milieu du XIXe siècle, la répression contre les Mapuche qui tentent de résister se transforme en véritable génocide. En 1883, les derniers territoires indépendants du sud sont conquis, et la terre mapuche a cessé d’exister.

3. Devenir citoyen chilien pour défendre ses droits ?

Dès le début du XXe siècle, les Mapuche comprennent que la seule manière pour eux d’exister est d’intégrer les structures politiques du Chili. En 1924, un premier député mapuche est élu au Parlement. Si cette élection et l’apparition de figures politiques mapuches importantes ne change rien à la situation concrète du peuple, elles ont au moins l’avantage de sensibiliser une partie de l’opinion et de faire entendre leur voix.

Le seul moment de répit pour les Mapuche sera l’élection, en 1970, de Salvador Allende, qui fait un certain nombre de gestes concrets pour les indigènes. D’abord, Allende met en place des lois de redistribution des terres aux peuples Mapuche. Si peu d’indigènes récupèrent leurs biens par ce biais, ils savent que l’occupation de terres volées ne sera pas réprimée par le nouveau gouvernement. Allende met par ailleurs en place une « loi indigène » qui rétablit tous les droits civiques des citoyens indigènes. Des efforts considérables sont également faits au niveau de l’éducation : les bourses d’études pour les étudiants mapuches passent de 556 en 1970 à plus de 10'000 en 1972. Bref, si la question des traditions, de l’indépendance ou de la culture de la langue n’est pas abordée, les Mapuche ont au moins l’impression d’accéder aux mêmes privilèges que n’importe quel citoyen chilien.

La situation se détériore drastiquement avec l’arrivée au pouvoir de Pinochet qui promulgue plusieurs lois visant à nier l’existence des Mapuche et qui les privent une nouvelle fois de leurs terres. Les opposants sont arrêtés, torturés, tués ou « disparus ». Malgré cela, au Chili et depuis l’étranger, les Mapuches créent des centres culturels et continuent d’affirmer leur existence. Au moment du retour de la démocratie, c’est à partir de ces centres que les Mapuches tentent de réintégrer leur statut de citoyen dans la société chilienne.

Aujourd’hui, l’existence du peuple Mapuche est reconnue, certaines initiatives émanant des universités tentent de « recultiver » une langue et des coutumes souvent abandonnées par un peuple qui, depuis 1980, a hésité entre la lutte et la volonté de se fondre au mieux dans une nation par laquelle il désespère de se voir un jour reconnus pleinement. L’exode rural massif a ainsi contribué à l’érosion des traditions. Les Mapuche, pour éviter la discrimination, ont abandonné leurs habits traditionnels et, bien souvent, leur langue. En se promenant dans le Sud du pays, il est bien difficile, sans intermédiaire, d’entrer en contact avec des populations marquées par presque deux siècles d’exclusion. Quant aux rencontres organisées par les agences de tourisme, elles se transforment bien souvent en une véritable affaire financière en transformant quelques représentants consentants, quelques villages, en de pittoresques musées à touristes… Si l’ouverture d’écoles bilingues (espagnol-mapudungun) part de bonnes intentions, elle pose également quelques problèmes : comment cultiver une langue qui repose sur des traditions, des objets, des manières de penser aujourd’hui disparus ? L’invention de termes technologiques en mapudungun a-t-elle un sens ? Et si ces entreprises permettent, peut-être, à un certain nombre de Mapuches de se réapproprier leur histoire, comment mobiliser l’opinion publique et obtenir un statut réellement acceptable pour ces 600'000 personnes, autrement que par le folklore et les bons sentiments ?



[Photo: Femmes mapuches au Marché de Temuco: entre traditions et modernité]




Sources :
- José Bengoa, Historia del pueblo Mapuche, Ediciones Sur, 1991.
- Guillaume Boccara,
Guerre et ethnogenèse mapuche dans le Chili colonial: L'invention du soi, Ed. L’Harmattan, 2000.
- Jo Briant, « Histoire du peuple Mapuche », in Ces Indiens qui veulent vivre. Guaranis du Paraguay, Aymaras et Mapuches du Chili, Ed. La Pensée Sauvage, p. 109-167.
- José Manuel Zavala, Les indiens mapuche du Chili, ed. L’Harmattan, 2000.
En ligne :

http://mapuche.free.fr
http://www.mapuexpress.net/
http://www.rebelion.org

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