dimanche 6 janvier 2008

Chronique de: Juan Rulfo, Pedro Páramo (1955), Paris, Gallimard, "L'imaginaire", 1979.

Pedro Páramo est une quête dans l’histoire profonde du Mexique du début du XXe siècle. Quête d’origines, d’abord, pour le premier narrateur, dont la mère souhaita, sur son lit de mort, qu’il aille chercher son père à Comala (ouest du Mexique). Le début est classique : le héros, arrivé au Carrefour des Rencontres, demande son chemin à un muletier qui l’accompagne jusqu’au village, il lui indique une maison où il pourra loger. Et puis progressivement, tout bascule pour plonger le lecteur dans un monde où les repères habituels de la logique n’ont plus prise. Il y a d’abord cette étrange conversation entre le voyageur et son guide :
- Et il est comment votre père, si on peut savoir ?
- Je ne le connais pas, je sais seulement qu’il s’appelle Pedro Páramo.
- Ah ! Bon !
- D’après ce qu’on m’a dit, c’est son nom.
- Ah ! fit encore le muletier.
[…] Nous étions si près l’un de l’autre que nos épaules se touchaient presque.
- Moi aussi je suis fils de Pedro Páramo, me dit-il.

La découverte de ce « frère » ne déclenchera aucune réaction chez le narrateur. A Comala, ville morte où tout semble figé dans la poussière, il est accueilli par Doña Eduviges qui lui apprend coup sur coup que le muletier est mort depuis des années, et qu’elle vient d’être prévenue de sa visite par sa défunte mère.
Et ce n’est qu’un début. A partir de là, différents habitants du village prendront successivement la parole pour nous raconter, par bribes, la vie de cette cité abandonnée. L’espace-temps se lacère : on est tantôt sous terre, avec les morts ­– que rejoint bientôt le voyageur –, tantôt dans un passé proche, lorsque Pedro Páramo régnait, propriétaire terrien, en petit tyran sur la région. Les épisodes se construisent par touches successives, dans une mosaïque de points de vue et de voix narratives. Dès le milieu du récit, la quête du père s’est transformée en une surréaliste reconstitution d’une page de micro-histoire mexicaine, sur fond de révolution zapatiste.
Si, comme souvent dans la littérature sud-américaine, le lecteur peine dans un premier temps à se laisser séduire par cet univers surréaliste, il se surprend bientôt à pouvoir se représenter sans difficulté majeure ce village, ses habitants, les liens troubles qui les unissent, à accepter leur parole empreinte de mythe et de folie, issue d’un au-delà mystérieux.Pour qui hésite à plonger dans la littérature hispano-américaine à tendance fantastique à travers un roman-fleuve, Pedro Páramo (140 pages) sera une excellente initiation, une manière de larguer les amarres tout en douceur…


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