jeudi 28 février 2008

Chronique de : Santiago Gamboa, Les Captifs du Lys Blanc (2002), Paris, Métailié, «Suites», 2007.

La littérature latino-américaine, parce qu’elle est le reflet d’un monde entre deux mondes, d’un continent de luttes et d’excès, nous a habitués à des univers troubles, parfois violents, souvent oniriques, où il faut accepter d’errer, de se laisser bercer par la mélancolie, pour jouir pleinement du rythme des mots. C’est donc avec surprise que l’on aborde les ouvrages du Colombien Santiago Gamboa, et notamment ces Captifs du Lys Blanc, roman policier et, avant tout, burlesque.

Il y a un prêtre français enfermé dans un hangar de Pékin, assigné à la surveillance d’un objet sacré dont il ne sait rien, et qui en profite pour méditer sur la condition humaine ; un journaliste franco-colombien déraciné, admirateur de Malraux, qui coordonne avec un soin maniaque une émission radiophonique sur « La France dans le monde » et dont la vie, par ailleurs, n’est qu’une suite d’échecs sentimentaux et de régimes sans cesses recommencés ; un Péruvien établi aux Etats-Unis, professeur universitaire imbu de lui-même, avide de pouvoir et, surtout, convaincu que son manque de succès auprès des éditeurs en tant que romancier est la preuve majeure de son immense talent ; et son image inverse, un sinologue allemand hésitant entre sa carrière de philologue et son amour secret pour la littérature, satisfait d’une vie passée au fond des bibliothèques, et pris soudain, à la lecture de Pierre Loti, d’une envie irrépressible de découvrir la Chine. Quatre personnages tous plus stéréotypés les uns que les autres (l’Allemand pouvait-il s’appeler autrement que Klauss ?! le Péruvien aurait-il été crédible sans sa passion du pisco ?) qui se voient projetés, indépendamment de leur volonté, dans une course effrénée à la recherche d’un mystérieux manuscrit fondateur : Lointaines transparences de l’air.

La stratégie la plus efficace de Gamboa, pour faire de cette intrigue rocambolesque un polar original, est de donner, sur deux tiers du roman en tout cas, l’avantage au lecteur. Une fois découverts les personnages et leurs travers de caractères, celui-ci les accompagne dans des aventures dont il connaît les enjeux, alors même que les « héros » jouent des rôles qu’ils ne maîtrisent absolument pas − d’où gaffes, malentendus, rencontres manquées ou trop bien réussies, etc. La variation des voix et des points de vue narratifs au cours du roman permet de ménager en permanence la surprise et d’alimenter les attentes du lecteur. Enfin, une chute bien ficelée, où les personnages se montrent soudain beaucoup plus futés qu’on ne l’avait imaginé et nous dupent allégrement, évitent une trop grande facilité du tout.

Si la culture latino-américaine n’apparaît que par petites touches dans ce roman qui se déroule pour l’essentiel à Pékin, c’est sans aucun doute dans l’humour décalé et mordant de l’auteur, dans quelques allusions littéraires bien précises et dans les réactions de certains personnages (le Colombien, le Péruvien, mais également une Cubaine et un Brésilien), qu’elle se montre le plus explicitement. Les Captifs du Lys Blanc est un livre où l’on rira de bon cœur, et d’autant plus lorsqu’on aura repéré les citations cachées, mystifications, et autres jeux littéraires qui parsèment l’histoire !

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