lundi 11 février 2008

Chronique de : João Guimarães Rosa, Diadorim (1956), Paris, Albin Michel, 10/18, 1991.

Disons-le d’emblée : Diadorim est une épopée moderne, avec tous les ingrédients du genre : un narrateur unique et omniprésent, qui chante parfois davantage qu’il ne raconte ; d’interminables chevauchées entre désert et forêt dans le Brésil du début du XXe siècle soumis à la loi des « jagunços », bandes armées à la solde des grands propriétaires terriens ; beaucoup d’attentes, quelques grandes batailles sanglantes, des alliances, des trahisons, des luttes de pouvoir, un univers presque exclusivement viril (et les bons mots qui vont avec), des chevaux, des rifles, des couteaux, et pas mal de cachaça (le rhum brésilien). Le tout sur 624 pages serrées – de quoi, a priori, tenir à distance plus d’un valeureux lecteur.

Rien ne devait donc m’attirer dans ce roman, et pourtant j’y suis entrée, je l’ai lu et en suis sortie comme après une longue errance. Car il y a un mystère au centre de cette histoire : l’amitié totale et ambiguë entre deux hommes, Riobaldo (le narrateur) et Diadorim, jeune homme à la beauté et au courage troublants. Qui est Diadorim ? Pourquoi Riobaldo doit-il se défendre contre le lien d’« amour véritable » qui l’unit irrémédiablement à Diadorim ? A travers ces questions qui traînent en filigrane tout au long de l’intrigue, le roman guerrier se mue en un magnifique récit d’introspection mené dans la langue à la fois brute et poétique du vieux jagunço, dont on ne saura jamais vraiment à qui il raconte son histoire. Si bien que l’on se prend au jeu. On suit ces cavaliers pour comprendre, pour surprendre Diadorim, le secret. Et on finit même par les accompagner et les soutenir dans leur campagne guerrière qui, sans jamais être haletante, réussit pourtant à nous intéresser. Ajoutez à tout cela un art parfaitement maîtrisé de la description détournée (il n’y a pas de description véritable, et pourtant, on vit le paysage, sa faune, ses arbres, ses fleuves, jusqu’à la consistance de l’air) et vous aurez tous les ingrédients d’un récit en fin de compte parfaitement séduisant.

Il faudrait, bien entendu, pouvoir lire João Guimarães Rosa en brésilien. Aux inventions de la traductrice, on devine une langue travaillée par l’auteur au corps-à-corps, modelée à l’esprit du narrateur qui, en cherchant à restituer une chronologie, tente peut-être avant tout de se comprendre, de saisir ce qui fait l’humain.

Une fresque captivante, émouvante, mais qu’il faut pouvoir lire par tranches de 30 à 50 pages pour garder le rythme de la quête. Idéal pour les vacances !

Commenter cet article

0 Commentaires: