dimanche 2 mars 2008

Chronique de : Ernesto Sábato, Le Tunnel (1948), Paris, Seuil, « Points », 1995.

Le Tunnel est une histoire relativement simple : un homme a tué sa maîtresse, la seule personne qui pouvait le comprendre, dit-il ; de sa cellule, il raconte la longue traversée des ténèbres qui l’a mené de la rencontre au meurtre. Ernesto Sábato nous oblige, non sans nous faire violence, à affronter le long monologue de cette âme paranoïaque, hargneuse, attachée avant toute chose à se prouver que tout est mensonge dans les relations humaines.

Lorsqu’il rencontre Maria, le peintre Juan Pablo Castel a immédiatement la conviction qu’il s’agit de son double, du seul être susceptible de partager sa douleur, sa solitude, son angoisse existentielle. La jeune femme fixe en effet le détail d’un tableau de Castel que personne, jamais, n’a relevé. Incapable d’engager la conversation tant il est surpris par ce regard qui a saisi l’essentiel de son œuvre et de lui-même, Castel attendra pendant des mois que le hasard lui permette de revoir Maria qu’il croisera en effet un jour sur une avenue de Buenos Aires. Commence alors un long jeu de poursuites, de fuites, d’attitudes séductrices puis destructrices, qui conduiront les deux personnages de l’amour platonique à la relation charnelle, puis à la haine réciproque, et enfin au meurtre. Durant tout ce périple, Maria apparaît dans une étrange passivité, subissant la véritable « chasse » menée par Castel, cédant à ses exigences puis pardonnant ses excès sans que jamais le lecteur n’accède à la raison profonde de son indulgence − ou de sa pitié ? Castel, de son côté, consacre une énergie désarmante à placer des obstacles intellectuels et fantasmatiques à la relation, comme si la haine était nécessaire.

Dissection d’un esprit profondément malade, ce roman contient une petite énigme en le personnage d’Allende, mari de Maria, aveugle, qui n’apparaît qu’à deux reprises : en début de roman, lorsque Castel cherchant Maria se retrouve face à Allende dans l’appartement de ce dernier, qui semble ignorer (volontairement peut-être) ce qui se passe entre sa femme et cet étranger ; et juste après que Castel aura commis son meurtre, lorsqu’il se rend chez Allende pour lui annoncer que sa femme le trompait et que lui, Castel, a mis fin à cette cruelle injustice. Que représente cet aveugle stoïque et détaché qui semble refuser avec toute l’énergie du désespoir les révélations de son rival ? C’est l’une des questions qui hantent les romans successifs de Sábato.

Si, personnellement, je trouve passablement insupportable cette prose analytique qui met en scène avec une complaisance non dissimulée les pires travers de l’âme humaine, force est d’admettre que le projet est parfaitement maîtrisé. Ne serait-ce que par la sorte de mimétisme qui s’installe progressivement entre les sentiments irrationnels de Castel envers Maria, et ceux qu’on finit, en tant que lecteur, par éprouver à l’égard de Castel… Le Tunnel, par sa brièveté et la simplicité apparente de son sujet, est une excellente entrée en matière dans l’écriture sombre et sans concession de Sábato.

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