lundi 21 avril 2008

Que Fernando Lugo remporte les élections présidentielles au Paraguay est incontestablement une bonne nouvelle. Cet ancien homme d’Église, qui a quitté la religion en 2006 pour se lancer en politique, met fin à 60 ans de règne sans partage du partido colorado.

Au pays de la corruption

Depuis la fin de la dictature d’Alfredo Stroessner en 1989, la scène politique paraguayenne offrait les aspects trompeurs d’une démocratie, dominée dans les faits par un seul parti, régnant grâce à des pratiques de corruption généralisées. 200'000 fonctionnaires paraguayens seraient membre du parti colorado. Au Paraguay, jusqu’à ce dimanche, on votait pour celui qui distribuait le plus de petits cadeaux (de la boîte de médicaments au poste de travail). Lors des élections de 2003, on a recensé 17'000 votes favorables au parti colorado émanant de citoyens… décédés (voir Le Courrier du mercredi 16 avril, p. 9). Ce vendredi 18 avril encore, on dénonçait la censure plus ou moins claire de pages web déclarant leur opposition au parti colorado et la fermeture d’une radio régionale qui se serait ouvertement opposée à l’un des représentants du parti [voir la nouvelle].

Un changement attendu, mais difficile

C’est donc bien, d’une certaine manière, un vent de révolution qui souffle sur le Paraguay avec l’arrivée au pouvoir de l’opposition formée par Lugo : l’APC (Alliance patriotique pour le changement). Réunissant à la fois diverses petites formations de gauche, des mouvements paysans et le parti libéral-radical, Lugo a su faire passer son message : non à la corruption, non à la possession de 80% des richesses du pays par 1.5% de propriétaires. Les indigènes, au nombre de 100'000, et les 46% de la population paraguayenne qui vivent en zone rurale sous le seuil de pauvreté, soit environ 3.2 millions de citoyens, ont beaucoup à espérer des idées réformistes du nouveau président. De là à savoir si Lugo réussira à s’opposer au pouvoir indécent des producteurs de soja, qui s’approprient 125'000 hectares par an de la terre paraguayenne au détriment des petits paysans et de la forêt tropicale (Le Courrier du samedi 19 avril, p. 11), à endiguer la culture de corruption désormais profondément ancrée dans les mœurs du pays (on imagine mal Lugo licencier tous les proches du parti colorado qui travaillent actuellement dans les administrations), et surtout à satisfaire les attentes des plus démunis, c’est là tout le problème. Comme Lula au Brésil, et dans une certaine mesure comme Morales en Bolivie, Lugo va devoir jouer avec les attentes très différentes de l’extrême gauche, représentative d’une population ouvrière et agricole soumise depuis des décennies aux exactions des grands propriétaires, et des libéraux-radicaux qui appartiennent souvent à une bourgeoisie peu encline au partage…

Chávez mis a distance

« Une transition transparente, pacifique, ouverte au dialogue, sereine et mature » : voici les termes que Lugo appose à son programme politique. Le nouveau président refuse par ailleurs très clairement les liens que ses opposants ont voulu établir entre l’ex-religieux et des figures de la gauche latino-américaine telles que Chávez ou Morales. Lugo déclare vouloir se distinguer des politiques de l’extrême et créer un programme spécifique aux problèmes du Paraguay, sans toutefois rompre les liens avec aucun des pays voisins. « Je ne suis ni de gauche ni de droite. Je suis situé au centre, je suis le candidat du peuple. » Nobles déclarations diront certains, un peu creuses penseront d’autres... Elles dénoncent en tout cas toute la difficulté de reprendre les rennes d’un pays susceptible à tout moment de basculer dans la crise. Une politique de gauche radicale priverait Lugo du soutien de bon nombre d’acteurs politiques et économiques importants ; pour éviter de perdre tout crédit auprès des populations indigènes, ouvrières et agricoles, il faudra pourtant proposer des changements structurels clairs. Au vu des résultats peu probants d’autres gouvernements de centre-gauche dans des pays nettement moins problématiques que le Paraguay (nous pensons au Chili, à l’Argentine ou au Brésil), il faudra beaucoup d’imagination et de volonté à Lugo pour proposer une alternative valable à la fois au parti colorado et à la nouvelle gauche.


Pour plus d'informations sur le Paraguay, voir le site "Perspective Monde", réalisé par l'Université de Sherbrooke.

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