mercredi 25 juin 2008

Le 26 juin 2008, nous fêtons le centenaire de la naissance de Salvador Allende. Vu le nombre d’articles, d’ouvrages, ou de films qui permettent de reconstituer l’itinéraire de cette grande personnalité politique chilienne des années ’40-’70, il n’est pas question de proposer dans ces pages une biographie détaillée du personnage ou une minutieuse analyse de sa politique. J’ai plutôt voulu, dans cet article et dans ceux qui suivront, réunir un certain nombre de documents, mais surtout de témoignages de Chiliens sur ce que Salvador Allende a pu représenter pour eux. Une manière d’entrer dans l’histoire par la petite porte, celle que nous ouvrent ceux qui l’ont vécue et ceux qui la font.

Après un très bref aperçu historique pour rappeler quelques faits importants, vous trouverez donc ici des textes réalisé à partir des souvenirs ou du point de vue de Chiliens sur Salvador Allende, des documents vidéos, de la musique, etc. J’alimenterai ces pages progressivement au fil du temps (qui passe, et du mien !). Toute suggestion ou collaboration sera la bienvenue.


Rappel historique

Né à Valparaíso le 26 juin 1908, Salvador Allende fut, en 1936, l’un des fondateurs du parti socialiste chilien. Il se présenta à quatre reprises à l’élection présidentielle, en 1952, 1958, 1964 et 1970 et remporte cette dernière élection sous les couleurs de l’Union Populaire, alliance de divers partis de gauche : les socialistes et communistes du Front Populaire, le parti radical, le MAPU (Movimiento de Acción Popular Unitaria), fraction dissidente et gauchiste du parti démocrate chrétien et l’API (Acción popular indipendiente). Soutenue par tous les représentants des secteurs ouvriers et syndicaux, la candidature d’Allende représentait, pour le Chili de l’époque, la possibilité pour toute une frange extrêmement pauvre de la population chilienne, d’entrer dans la vie politique du pays. Son élection fut donc suivie de scènes de liesses populaires en même temps que les représentants de la bourgeoisie chilienne manifestaient souvent violemment leur mécontentement.

Dès le début de la présidence de Salvador Allende, à la fin de l’année 1970, les Etats-Unis mettent en placent une stratégie de déstabilisation politique et économique du pays, face à un président socialiste qui redistribue les terres, nationalise sans hésiter les principales usines et entreprises chiliennes, et notamment l’industrie minière. Des grèves des transporteurs routiers paralysent le pays et rendent impossible l’acheminement dans les villes des produits de première nécessité. Les mécontents sont de plus en plus nombreux, de tous les côtés de l’échiquier politique. À la gauche radicale et à Fidel Castro qui, depuis Cuba, incite Allende à répondre aux tentatives de manipulations par les armes, Allende opposera toujours l’utopie d’un socialisme pleinement pacifique. Il est renversé le 11 septembre 1973 par un coup d’état militaire soutenu et en partie organisé par les Etats-Unis, qui donnera le pouvoir, pendant 18 ans, au général Augusto Pinochet. Il meurt pendant le bombardement de la Moneda.


L’histoire par ceux qui l’ont vécue : témoignages


1) Lilian et Adólfo Lopez sont arrivés en Suisse en 1976 avec leurs 4 enfants nés en 1966, 1967 1969 et 1971. Ils ont fondé en 1982 l’école de langue et culture latino-américaines INECLA, à Lausanne. Je me suis longuement entretenue avec eux au sujet de Salvador Allende, laissant libre cours à leur souvenir et à leur vision de ces années, sans diriger la discussion par des questions précises. Voici donc une tentative de mise en ordre et de transcription de cette évocation.


Lilian et Adólfo Lopez avaient respectivement 26 et 30 ans lorsque Salvador Allende fut élu président en 1970. Ils étaient enseignants, parents de trois enfants et avaient tout deux été très actifs dans des mouvements politiques estudiantins au cours des années 1960. Ils faisaient donc partie d’une jeunesse universitaire politisée qui suivait depuis longtemps les tentatives de la gauche d’accéder à la présidence et vécurent, comme des milliers d’autres, le moment à la fois enthousiasmant et inquiétant où il fallut tenter de transformer le rêve en réalité, de matérialiser des projets complexes, peut-être utopiques et, surtout, de créer une cohésion dans la société chilienne, malgré les difficultés engendrées par les réformes.


La menace Allende (1958-1970)


Lilian et Adolfo se souviennent, d’abord, des trois tentatives ratées d’Allende pour accéder à la présidence et de la campagne de dénigrement qui s’organisa, dans les milieux de droite, pour contrer les prétentions des socialistes. On insistait sur les origines bourgeoises d’Allende, sur la correction de son langage, son éducation, sa présentation impeccable, pour en faire un personnage suspect : comment un homme qui semblait incarner la distinction pouvait-il être le candidat du peuple ? On disait que ce médecin-là devait sans doute s’empresser de se laver les mains après les avoir serrées… On mit également en place une campagne de propagande basée sur la peur du communisme. On distribuait des tracts abjects qui mettaient en scène les habituels clichés du communiste mangeur d’enfants et violeur d’épouses… Par ailleurs, Lilian se souvient d’une soirée de fin de scolarité, en 1958, où l’on parlait déjà d’éliminer par la manière forte un éventuel vainqueur de la gauche aux élections. Pendant son service militaire, Adolfo put de même entendre un capitaine haranguer ses troupes, suggérant qu’il fallait abattre les communistes qui menaçaient le pays. La bataille n’était donc pas gagnée d’avance et s’annonçait violente dès le début des années ’60.


La victoire, ou le difficile passage du rêve à la réalité (1970)


1970 c’est d’abord, bien sûr, le souvenir d’une immense joie, mais également d’une forme de crainte qui se manifesta rapidement au sein même des mouvements de gauche qui avaient voulu la victoire d’Allende. Après les 3 précédents échecs, on espérait sincèrement cette issue, sans arriver à y croire complètement. Or très rapidement, la présidence d’Allende fit émerger l’immense hiatus qui existait entre les attentes de tout un peuple et les ambitions des différents mouvements politiques qui avaient soutenu la candidature d’Allende. Celui-ci, indépendamment de toute appartenance à un parti, était d’abord le représentant du peuple. Il voulait réaliser un programme ambitieux qui devait permettre aux Chiliens de devenir les acteurs premiers de leur économie et d’accéder en quelque sorte avec lui à la direction du pays. À l’arrière-plan, il y avait une gauche fractionnée, plusieurs partis qui voulaient imposer leurs vues (et leurs hommes), contre lesquels Allende peinait à affirmer une autorité autre que morale. Très vite, on vit donc apparaître des divisions au sein de la gauche et une forme d’incompréhension d’une partie de la population face à la difficulté de mettre en place certaines réformes, ou face aux problèmes qui surgissaient suite à certaines mesures. Lilian se souvient en particulier de l’initiative d’Allende de faire distribuer ½ litre de lait par jour à tous les enfants du pays, pour lutter contre la malnutrition. En tant qu’enseignante, elle était partie prenante de cette initiative. Elle distribuait régulièrement aux élèves des boites de lait en poudre. Malheureusement, très rapidement, les enfants furent atteints de diarrhées, parce qu’ils n’avaient pas l’habitude du lait ou parce que certains le préparaient de manière trop concentrée. Les réactions furent extrêmement violentes. On diabolisa l’initiative d’Allende, les parents commencèrent, dans le meilleur des cas, à vendre le lait ou, pire, à le jeter ou à l’utiliser, par exemple, pour marquer les lignes des terrains de foot. Lilian évoque la tristesse ressentie face à ces scènes. Avec le lait, c’est tout un projet qu’on détruisait, et toute la difficulté de le communiquer qui se manifestait.

Pour Adolfo, l’élection d’Allende mit ainsi le Chili face à un double problème qui facilita le travail de sape de l’opposition : d’abord le sectarisme de la gauche − problème selon lui toujours d’actualité en Amérique latine −, incapable d’adopter une ligne commune et claire et de soutenir véritablement Allende. Ensuite un problème de préparation intellectuelle et politique d’une grande partie de la population face aux conséquences des réformes. On voulait le changement, mais on n’était prêt ni à le réaliser, ni surtout à accepter les difficultés conséquentes à celui-ci. Les deux problèmes étaient intimement liés puisque le manque d’homogénéité politique ne transmettait pas au peuple un message clair et univoque, qui aurait permis d’affirmer un soutien plus massif à Allende et de donner davantage de structure aux réformes.


L’époque de la liberté d’expression et de la solidarité (1971-1973)


Au sein des fabriques, dans les quartiers, entre amis et membres d’une famille, les divergences de vue sur la direction que devait prendre la présidence d’Allende s’affirmaient parfois de manière très crue. Lilian travaillait en 1970 comme enseignante dans la fabrique de textiles HIRMAS. Entre les ouvriers qui soutenaient le MIR (mouvement de la gauche révolutionnaire), la frange gauche des démocrates chrétiens (MAPU) et les socialistes, les débats étaient souvent extrêmement violents, verbalement parlant, et la division était claire. Mais contrairement à ce qui se passa par la suite, sous Pinochet, il n’y avait aucune censure idéologique. On pouvait ne pas être d’accord, s’insulter même, mais il n’y avait pas d’ennemi à abattre. Le débat existait et si les années 1970-1973 furent donc extrêmement agitées, elles furent également très stimulantes.

Lilian et Adolfo se souviennent par ailleurs de l’immense solidarité qui naquit durant cette période. D’abord, au début, parce que malgré les divergences et les tiraillements entre partis, on avait la sensation d’être tous les protagonistes de quelque chose, d’appartenir à une nation, de pouvoir réaliser un projet nouveau et historique. Ensuite, lorsque les événements sont devenus plus pénibles, parce qu’au sein de la population, malgré les craintes et les mécontentements, s’est mis en place tout un système d’entraide. Au moment où, à cause des grèves des transporteurs et des blocus, les produits de première nécessité ont commencé à manquer, il a fallu mettre en place une économie parallèle. On savait que le marché noir, le troc, etc. n’aideraient pas Allende, mais on était pris au piège entre les certitudes politiques et la nécessité de survivre. Lilian se souvient ainsi du moment où son salaire en espèce est devenu un salaire en nature (du tissu et du fil), ce qui n’allait pas lui permettre de nourrir ses enfants. Elle s’est donc mise, avec d’autres, à produire un artisanat spontané qui servait de monnaie d’échange pour obtenir des aliments. Par ailleurs, on se groupait entre voisins, on s’organisait pour obtenir des produits rationnés et les redistribuer. Lilian et Adolfo, qui possédaient une camionnette, organisaient des expéditions à la campagne pour se procurer des marchandises et les répartir ensuite entre les habitants du quartier.


La fin (1973)


Malheureusement, la situation devenait de plus en plus difficile et on ne voyait pas d’issue. Les grèves, les manifestations, les campagnes de propagandes anti-présidentielles de la droite, les tensions entre la gauche radicale et le discours plus modéré d’Allende laissaient penser que ce dernier ne tiendrait pas nécessairement jusqu’à la fin de son mandat, mais Lilian et Adolfo n’auraient jamais pensé que le changement de système pourrait advenir par un coup d’état d’une telle violence. Malgré les discours extrêmement violents de la droite, malgré un premier coup d’état manqué en juin 1973, mené par un régiment rebelle, la plupart des citoyens ne croyait pas à un renversement de l’État mené par l’armée.

Pour Adolfo, l’histoire du Chili d’Allende reste d’actualité dans la mesure où il perçoit en Bolivie ou au Venezuela des processus de déstabilisation absolument similaires à ceux qui mirent fin à l’utopie socialiste au Chili. Et de conclure, en insistant une nouvelle fois la difficulté d’aller contre les sectarismes et l’individualisme lorsqu’il s’agit de mettre en place une nouvelle forme d’État : « Ce qui apparaît, dans une révolution, ce sont les défauts humains. »



Deux documents sonores

Pour ceux qui comprennent l'espagnol, voici deux discours prononcés par Allende en 1972: devant l'ONU, et à l'Université de Guadalajara au Mexique. Si je trouve le temps, je vous proposerai le texte de ceux-ci, en français.








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1 Commentaire:

  1. Florian a dit...
    ça fait du bien qu'on rafraichisse un peu la mémoire comme ça...
    Je me suis permis de mettre ton article en lien sur mon blog pour un post sur le même sujet, merci.
    http://www.holavenezuelaaquiestamos.blogspot.com/