vendredi 1 août 2008

De retour après un mois de juillet bien rempli, je voudrais rendre hommage à deux artistes uruguayens qui ont voulu présenter à deux voix quelques éclats de réalité - politique, poétique ou tout banalement quotidienne - et ce pendant 27 ans. Il s'agit de Daniel Viglietti (1939) et Mario Benedetti (1920), le chanteur-compositeur et le poète-journaliste-essayiste, qui se rencontrèrent durant leurs années d'exil au Mexique, en 1978, et décidèrent d'allier leurs textes, leurs pensées et leurs voix.
A dos voces, le livre qui réunit un certain nombre de compositions des deux hommes, permet ainsi de plonger dans une poésie engagée extrêmement soignée et authentique à la fois. Un véritable chef-d'oeuvre de la littérature latino-américaine contemporaine, dont ont été tirés les spectacles que Viglietti et Benedetti ont présentés pendant près de trente ans dans le monde entier. Il existe de ceux-ci un enregistrement, A dos voces, paru en 1994. Je le conseille à tous les amoureux des mots et de la musique. Outre la maîtrise de la langue et du sens, c'est tout un art de l'émotion qui est ici démontré et mis en scène. Une capacité devenue trop rare, aujourd'hui, à faire vibrer les hommes grâce au langage, une croyance en la magie du verbe, de la lecture, en l'universalité de la poésie.
La composition que j'ai choisie pour vous présenter ce travail, porte sur la grande question des disparus en Amérique latine. Daniel Viglietti chante Otra voz canta (une autre voix chante), tandis que Benedetti récite Desaparecidos (Disparus), paru dans le recueil Geografías de 1984, et Esa batalla (Cette bataille), publiée en 1978-79 dans Cotidianas. En italique, les poèmes de Benedetti (avec, comme d'habitude, la traduction en-dessous du texte original).

Están en algún sitio / concertados
desconcertados / sordos,
buscándose / buscándonos
bloqueados por los signos y las dudas
contemplando las verjas de las plazas
los timbres de las puertas / las viejas azoteas
ordenando sus sueños, sus olvidos
quizá convalecientes de su muerte privada

Por detrás de mi voz
– escucha, escucha –
otra voz canta.

Viene de atrás, de lejos;
viene de sepultadas
bocas, y canta.

Dicen que no están muertos
– escúchalos, escucha –
mientras se alza la voz
que los recuerda y canta.

Escucha, escucha;
otra voz canta.

Nadie les ha explicado con certeza
si ya se fueron o si no
si son pancartas o temblores
sobrevivientes o responsos
ven pasar árboles y pájaros
e ignoran a qué sombra pertenecen

Dicen que ahora viven
en tu mirada.
Sostenlos con tus ojos,
con tus palabras;
sostenlos con tu vida
que no se pierdan,
que no se caigan.

Escucha, escucha;
otra voz canta.

Cuando empezaron a desaparecer
hace tres cinco, siete ceremonias
a desaparecer como sin sangre
como sin rostro, y sin motivo
vieron por la ventana de su ausencia
lo que quedaba atrás / ese andamiaje
de abrazos cielo y humo

No son sólo memoria,
son vida abierta,
continua y ancha;
son camino que empieza.

Cantan conmigo,
conmigo cantan.

Dicen que no están muertos;
escúchalos, escucha,
mientras se alza la voz
que los recuerda y canta.

Cantan conmigo,
conmigo cantan.

Cuando empezaron a desaparecer
como el oasis en los espejismos
a desaparecer sin últimas palabras
tenían en sus manos los trocitos
de cosas que querían
están en algún sitio / nube o tumba
están en algún sitio / estoy seguro
allá en el sur del alma

Es posible que hayan extraviado la brújula
y hoy, vaguen preguntando preguntando
dónde carajo queda el buen amor
porque vienen del odio

Dicen que no están muertos;
escúchalos, escucha,
mientras se alza la voz
que los recuerda y canta.

Cantan conmigo,
conmigo cantan.

No son sólo memoria,
son vida abierta,
son camino que empieza
y que nos llama.

Cantan conmigo,
conmigo cantan.

¿Cómo compaginar
la aniquiladora
idea de la muerte
con este incontenible
afán de vida?

¿cómo acoplar el horror
ante la nada que vendrá
con la invasora alegría
del amor provisional
y verdadero?

¿cómo desactivar la lápida
con el sembradío?
¿la guadaña
con el clavel?

¿será que el hombre es eso?
¿esa batalla?

*

Ils sont quelque part / réunis (1),
déconcertés / sourds,
se cherchant / nous cherchant
bloqués par les écrits et des doutes
contemplant les grilles des places
les sonnettes des portes / les vieilles terrasses
rangeant leurs rêves, leurs oublis,
peut-être convalescents de leur mort interdite

De derrière ma voix
− écoute, écoute −
une autre voix chante

Elle vient de derrière, de loin ;
elle vient de bouches
ensevelies, et elle chante.

Ils disent qu’ils ne sont pas morts
− écoute-les, écoute −
tandis que s’élève la voix
qui les rappelle et les chante.

Ecoute, écoute ;
une autre voix chante.


Personne ne leur a expliqué avec certitude
s’ils s’en sont allés, déjà, ou non
s’ils sont pancartes ou tremblements
survivants ou répons
ils voient passer des arbres et des oiseaux
et ignorent à quelles ombres ils appartiennent

Ils disent qu’ils vivent, maintenant,
dans ton regard.
Soutiens-les de tes yeux,
de tes mots ;
soutiens-les de ta vie,
qu’ils ne se perdent pas,
qu’ils ne tombent pas.

Ecoute, écoute ;
une autre voix chante.


Quand ils commencèrent à disparaître
il y a de cela trois, cinq ou sept cérémonies,
à disparaître sans sang
sans visage et sans raison
ils virent par la fenêtre de leur absence
ce qui restait derrière / cet échafaudage
d’étreintes, ciel et fumée

Ils ne sont pas que mémoire,
ils sont la vie ouverte,
continue et ample ;
ils sont un chemin qui commence.

Ils chantent avec moi,
avec moi, ils chantent


Quand ils commencèrent à disparaître,
comme l’oasis dans ses reflets
a disparaître sans derniers mots
ils tenaient dans leurs mains les morceaux
des choses qu’ils aimaient
ils sont quelque part / nuage ou tombe
ils sont quelque part / j’en suis sûr
là-bas, au sud de l’âme.

Il se peut qu’ils aient égaré leur boussole
et qu’aujourd’hui, ils errent en demandant, en demandant
où diable se trouve le bon amour
et pourquoi ils naissent de la haine.

Ils disent qu’ils ne sont pas morts ;
écoute-les, écoute,
tandis que s’élève la voix
qui les rappelle et les chante.

Ils chantent avec moi,
avec moi ils chantent.

Ils ne sont pas que mémoire,
ils sont la vie ouverte,
ils sont un chemin qui commence
et qui nous appelle.

Ils chantent avec moi,
Avec moi ils chantent.


Comment concilier
l’annihilante
idée de la mort
et cette incompressible
soif de vie ?

Comment accoupler l’horreur
face au néant qui viendra
et la joie envahissante
de l’amour provisoire
et véridique ?

Comment combattre la pierre tombale
avec des semis ?
la faux,
avec un œillet ?

L’homme, est-ce donc cela ?
Cette bataille ?

(1) Benedetti joue ici sur l'opposition concertados / desconcertados, littéralement concertés / déconcertés, mais qui ne fait pas sens en français.



3 Commentaires:

  1. Anonyme a dit...
    Es gratificante para mi encontrar este jardin de poesia en el blog de Nathalie. Este texto me trajo a la memoria momentos inolvidables de los años 70 cuando los jóvenes latinoamericanos cantabamos a coro las canciones de Viglieti y leiamos en masa los poemas de Benedeti. Muchas gracias por el regalo.
    Nathalie Vuillemin a dit...
    Gracias por el mensaje. Si cada articúlo de este blog pudiera emocionar a alguien, aunque fuera una sola persona, ya tendría la impresión de haber logrado algo.
    Nathalie
    Anonyme a dit...
    Seguramente me ha emocionado encontrarme con estos dos iconos de los jovenes sudamericanos. Gracias, Nathalie.