mercredi 1 octobre 2008
"L'oubli est plein de mémoire": c'est le titre d'un recueil de poèmes de Mario Benedetti paru en 1995. Recueil qui s'ouvre, en exergue, sur cette magnifique citation de Rafael Courtoisie, autre grand poète uruguayen: Un día, todos los elefantes se reunirán para olvidar. Todos, menos uno (Un jour, tous les éléphants se réuniront pour oublier. Tous, sauf un).
Un titre qui m'interpelait à tel point qu'il a fallu que je trouve ce recueil, que je l'aie entre les mains pour tenter de trouver d'où me venait l'étrange écho de ces mots, el olvido está lleno de memoria, qui semblaient me provoquer, m'obliger à me soumettre à eux: j'étais sûre de les avoir rencontrés quelque part. Mais où? Où - moi qui, il y a encore six mois, ne savais strictement rien de Mario Benedetti?
Dans tout le recueil, dans chaque poème où presque, la phrase réapparaît. Mais ce sont les vers du premier texte, intitulé "ce grand simulacre", qui m'ont permis peu à peu, par éclats, de redessiner les traits de ce que je cherchais, et de retrouver la mémoire. En voici quelques morceaux (version française à la suite du texte original):
en mi región hay calvarios de ausencia
muñones de porvenir/arrabales de
duelo
pero también candores de mosqueta
pianos que arrancan lágrimas
cadáveres que miran aún desde sus
huertos
nostalgias inmoviles en un pozo de
otoño
sentimientos insoportablemente
actuales
que se niegan a morir allá en lo oscuro
el olvido está tan lleno de memoria
que a veces no caben las
remembranzas
y hay que tirar rencores por la borda
en el fondo el olvido es un gran
simulacro
nadie sabe ni puede/ aunque quiera/
olvidar
un gran simulacro repleto de fantasmas
esos romeros que peregrinaran por el
olvido
como si fuese el camino de santiago
el día o la noche en que el olvido
estalle
salte en pedazos o crepite/
los recuerdos atroces y los de maravilla
quebrará los barrotes de fuego
arrastrarán por fin la verdad por el
mundo
y esa verdad será que no hay olvido.
Inventario tres, Mexico, Santillana, 2005.)
il y a, dans ma région, des calvaires d'absence
des moignons d'avenir, des faubourgs
de deuil
mais aussi des candeurs de rosiers
des pianos qui tirent des larmes
des cadavres qui regardent encore depuis leur
jardin
des nostalgies immobiles dans un puits d'
automne
des sentiments insupportablement
actuels
qui refusent de mourir là-bas, dans l'obscurité.
l'oubli est tellement plein de mémoire
que parfois les souvenirs n'entrent plus
et il faut jeter nos rancoeurs par-dessus bord
au fond, l'oubli est un grand simulacre
personne ne peut / même s'il le veut /
oublier
un grand simulacre plein de fantômes
ces pèlerins qui marchent dans
l'oubli
comme si c'était le chemin de Santiago
le jour ou la nuit où l'oubli
éclatera
sautera en morceaux ou crépitera /
les souvenirs atroces et les merveilleux
brûleront leurs barreaux de feu
porteront enfin la vérité dans le
monde
et cette vérité sera qu'il n'y a pas d'oubli.
(Ma traduction)
El olvido está lleno de memoria, c'était une image. Une photo prise à Santiago du Chili en août de l'année dernière, un grand panneau lugubre dans l'hiver chilien, portant la liste des personnes disparues dans le camp de torture de la villa Grimaldi - panneau qui, après à peine une année de vie, affichait déjà ses trous de mémoire comme pour bafouer celle des morts. Etrange(s) rencontre(s) que celle(s)-ci...
Cartographie: Chili, Images (fixes et mouvantes), Littérature, Uruguay
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