vendredi 14 novembre 2008

Voici un article sur la perception de la victoire d'Obama en Amérique latine, paru dans Le Courrier d'aujourd'hui, vendredi 14 novembre, p. 11.

LA ROSE-ROUGE AMÉRIQUE LATINE ATTEND BARACK OBAMA AU PROCHAIN TOURNANT

Influence - Le démocrae renouera-t-il dans le sous-continent les liens détruits par George Bush? Obama aura à trancher sur Cuba, Guantanamo et l'immigration.

PIERRE ROTTET

Une chose est sûre: le «Yankee» Obama, qui n'y a jamais mis les pieds, devra reconstruire les liens avec l'Amérique latine. Hormis en Colombie, l'administration Bush les a passablement détériorés. La crédibilité de Washington est désormais nulle et sa sphère d'influence s'est réduite comme peau de chagrin. Sa politique n'a fait que susciter depuis des années des leaders anti-américains.

Certains ont de l'humour, comme Evo Morales: «Je ne sais pas ce qui se passe dans le monde: en Bolivie, un Indien est président. Et maintenant, aux Etats-Unis, un Noir.» Le Bolivien n'est pas le seul à comparer l'élection d'Obama à celles de figures représentatives des minorités ou des secteurs émergents d'Amérique latine, terre d'immigration et mosaïque de races.

Le sous-contient latino-américains est sans doute moins surpris que l'Europe par «la révolution» du peuple américain plaçant un Noir à sa tête, 40 ans près l'assassinat de Martin Luther King. Après l'échec des guérillas, l'Amérique latine voit ici s'accomplir par la démocratie une part des changements que ces mouvements voulaient réaliser par les armes.

Avec l'arrivée de l'Indien Morales, du Noir Obama et la colorisation en rouge du sous-continent, l'Amérique latine pourrait bien opérer un changement de cap, après des années radicalement néolibérales, vers une intégration plus poussée des minorités.

De la misère du monde

Les dirigeants latino-américains ont exprimé des attentes modestes. Mais tous, à l'exception du Pérou de Garcia et de la Colombie d'Uribe, espèrent l'abandon par Obama de l'unilatéralisme de l'administration Bush et de l'embargo à l'encontre de Cuba, ainsi que la disparition du camp de Guantanamo. Dans ses discours, Obama s'est dit prêt à lever certaines restrictions visant Cuba (interdiction de l'envoi d'argent, de se rendre dans l'île pour les Cubains résidant aux USA). En campagne, il s'était dit prêt à dialoguer avec Raul Castro, frère de Fidel.

Mais aussi avec le président du Venezuela. «Je veux voir le Nègre», a d'ailleurs lancé Hugo Chavez. Qui estime que «l'élection historique d'un descendant africain à la tête du pays le plus puissant du monde est le symptôme du changement d'ère qui est né en Amérique du Sud et pourrait avoir frappé aux portes des ÉtatsUnis... Je voudrais parler avec Obama de la misère dans le monde». Même souhait du Bolivien Evo Morales, qui veut améliorer les relations bilatérales, après l'expulsion il y a peu de l'ambassadeur US, accusé d'ingérence et de conspiration avec l'opposition.

La politique américaine d'immigration est un autre tournant où Obama est attendu. La priorité devrait être d'obtenir d'abord la suspension des mesures draconiennes visant les immigrants illégaux, puis l'adoption d'une réforme radicale sur l'immigration par le Congrès US. Le «mur de la honte» construit entre les Etats-Unis et le Mexique ne devrait pas y survivre. Le président mexicain Felipe Calderon a d'ailleurs immédiatement invité Obama à visiter son pays...

Le gouvernement du président colombien Uribe est sans doute le moins rassuré par l'élection d'Obama. Il redoute de voir fondre l'aide US à son armée, tout en espérant voir se poursuivre le programme de lutte contre les narcotrafiquants et la guérilla. La Colombie redoute aussi de voir la majorité démocrate traîner encore plus les pieds pour ratifier le traité de libre commerce (TLC). Un traité fort mal accueilli en Amérique latine, et qui pourrait passer à la trappe, Obama ayant déjà déclaré son opposition. Ses arguments: la faillite de la politique colombienne des droits de l'homme et la violence visant les leaders syndicaux.

Beaucoup d'espoir

Pour la présidente argentine Cristina Kirchner, avec la victoire d'Obama, «c'est un cycle inédit qui commence: la grande victoire d'une des épopées les plus passionnantes de l'histoire, la lutte contre la discrimination et pour l'égalité des chances».

Et s'adressant au nouvel élu: «Toutes les minorités du monde attendent avec beaucoup d'espoir que vous marchiez à leurs côtés, tel que le monde le fit avec Martin Luther King.» Selon le président du parlement de transition de l'Équateur, Fernando Cordero, «Bush n'a pas fait preuve d'assez de volonté politique pour saisir les diversités du monde. Le nouveau président semble une personne beaucoup plus encline à comprendre ce que toute l'humanité vit actuellement.»

Quant à la presse sud-américaine, elle n'a pas usé du ton triomphal des journaux européens après la victoire d'Obama. Titres discrets et peu de photos. Plusieurs raisons à cela: il y a d'abord la méfiance d'une presse proche de pouvoirs réservés voire hostiles à l'égard de Washington; puis la déception d'une presse en main de puissants milieux économiques, plus proches du candidat McCain. A Cuba, la discrétion est aussi de mise. La presse officielle, sans illusion, rappelle que le pays maintient des relations commerciales avec 176 pays. Histoire de dédramatiser l'éventuel refus de la nouvelle administration US de lever l'embargo.

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