mercredi 11 février 2009

C'est l'histoire d'un type, né au Chili aux premiers pas de la dictature. Un type comme beaucoup d'autres de sa génération, fasciné par Allende qu'il n'a pas connu, par l'émulation culturelle des années '60-'70 au Chili et dans toute l'Amérique latine. Un type qui ne perd rien de ce qui se passe sur les scènes de Santiago et de Valpa, qui s'amuse avec des potes à créer une chaîne de télé musicale et culturelle gratuite sur internet, un type dont la passion est la découverte des chanteurs-compositeurs de demain et la redécouverte de ceux d'hier. Nous l'appellerons Spartakus, de son nom de blogueur.

Eté 2006. Spartakus décide de créer un blog à la limite de la légalité, pour diffuser aussi largement que possible les oeuvres musicales des artistes qu'il estime. D'abord des anciens, morts depuis longtemps, comme Victor Jara ou Violetta Parra; puis des anciens d'anthologie et des anciens qui durent: Victor Heredia, León Gieco, Quilapayún, Isabel Parra, Silvio Rodriguez, Noel Nicola, Soledad Bravo ou, parmi les noms moins connus, Hector Pavez ou Piojo Salinas. Intitulé La canción: una arma de la revolución le site est en premier lieu consacré à la chanson engagée. Il s'élargira par la suite.

Le principe du portail est simple. Pour chaque artiste (ou pour chaque oeuvre) que Spartakus apprécie, il y a une (bio-)bibliographie détaillée, une discographie détaillée comprenant les titres des chansons contenues dans chaque opus, et la plupart du temps, un lien renvoyant à un serveur de téléchargement. En deux ans et demi, ce sont 1200 articles qui sont mis en ligne et le double d'oeuvres à la disposition du public. L'auteur du blog revendiquait clairement, au départ, une action pirate visant à permettre à tout un chacun de se procurer des disques parfois difficiles à trouver, contre le profit des grands groupes de distribution. Il est peut-être bon de rappeler qu'un CD neuf, au Chili, coûte ce qu'il coûte en France (et je ne vous parle pas des prix verts de la FNAC mais des prix "normaux" d'un disque à sa sortie). Sauf que le Chilien moyen ne gagne pas le même salaire que le Français moyen. Et que Spartakus s'amuse même, dans le cas des ouvrages anciens, à numériser des vinyles.

Assez rapidement, les problèmes attendus se présentent. Certains artistes, par l'intermédiaire d'agents ou de maisons d'édition, demandent à Spartakus de cesser son action. Il obtempère rarement, et ce d'autant plus qu'il reçoit autant de protestations que de félicitations, de la part des artistes eux-mêmes, et pas des moindres (Isabel Parra ou Pablo Milanes, par exemple). En 2008, le blog change de direction. Contacté par des chanteurs qui, pour des raisons financières, ne peuvent se permettre l'édition d'un CD, Spartakus devient le diffuseur officiel de nouveaux artistes. Le blog reste gratuit, mais c'est désormais une plateforme de la scène actuelle avec annonces de concerts, vidéos, chansons inédites - et toujours, à l'arrière-plan, le travail premier de Spartakus: la création d'une véritable discothèque historique de la chanson sud-américaine. Le tout doublé d'un profile hyperactif sur facebook, d'un succès grandissant de la chaîne de télé-musicale gratuite sur internet, etc.

Mi-janvier. Spartakus se connecte à son compte blogger et là, c'est la décharge d'adrénaline, avant la consternation. "Ce compte a été supprimé". Aucune explication supplémentaire ne lui sera fournie. Il ne s'agit pas d'un acte de piratage, mais bien d'une action - parfaitement légale, vu le contenu parfaitement illégal du site - des gestionnaires de blogger. Là où le bât blesse c'est que Spartacus, qui s'était le plus souvent contenté d'accomplir avec soin son "devoir d'historien pirate", vient de publier plusieurs articles en marge de la musique, à teneur politique. Critique de l'état chilien qui promulgue ces jours-ci une nouvelle loi pour "protéger" les grandes maisons de distribution contre le piratage. Propos extrêmement virulents à l'égard d'Israël. Diffusion de nombreux articles de Galeano, qui dérange pas mal en Amérique latine. C'est au lendemain de la publication de l'article de Galeano sur Israël, que vous pouvez lire dans ces pages mêmes, que le blog de Spartacus est fermé.

Ne soyons pas paranos. Il n'y a rien de politique là-dedans et le piratage, c'est mal. Mais vous avez déjà essayé de mettre le contenu d'un seul CD sur un serveur de téléchargements gratuits? Je ne vous parle pas d'emule et autres solutions faciles de piratage par inter-connexion d'ordinateurs privés, mais bien d'aller sur un site, d'ouvrir son dossier, d'y placer un CD avec pochettes, etc., puis de copier le lien du CD dans un blog pour que chacun puisse y accéder. C'est au minimum 2 heures de boulot. Ou alors on est très riche et on se paie un abonnement au site en question, ce qui accélère le processus.

De l'histoire de Spartacus, je retiens l'image d'un type qui, pendant deux ans et demi, a consacré une bonne partie de ses nuits à une passion qui, à titre personnel, m'a permis de me procurer de la musique absolument introuvable par les biais légaux et conventionnels. De ce travail de fourmi, il ne reste rien.

Moral, le blogueur qui contrevient sans complexe aux lois du copyright pour faire revivre (ou vivre) des artistes plus ou moins connus? Moral(e) l'internaute qui, par "amour de la musique", se procure une discothèque monumentale de chansons parfois rarissimes sans payer un kopeck pour cela? Morale l'administration d'un site qui ferme un blog sans aucun avertissement préalable, au nom de la loi? On pourrait en discuter longtemps, trouver autant d'artistes applaudissant l'action de Spartakus que d'autres la condamnant. Que celui qui n'a jamais péché en matière de piratage, même à très petite échelle (c'est si cite copié, le CD d'un pote), lance la première pierre.

Le drôle dans l'histoire, c'est que Sparta recommence. Ce sera bientôt sur http://www.perrerac.org. Alors si l'histoire ne vous épouvante pas, notez l'adresse et allez y jeter un oeil de temps en temps, ça vaudra sans doute le détour.

Commenter cet article


2 Commentaires:

  1. Anonyme a dit...
    Tiste histoire mais cruellement vraie comme il s'en passe tous les jours.
    Ce que tu oublies de dire mais qui transparait dans ton texte, c'est le "à la limite de la légalité", qui ne veut rien dire, ou c'est légal ou illegal.
    Mais ici, au Chili, les gens ne sont pas sensibilisé ni très averti de ce que nous apopelons nous autre les droits d'auteur. Beaucoup considère que ce qui est sur INternet est libre d'accès et gratui à reproduire. Il suffit de voir tous les images et photos de stras internationnales utilisées pour la moindre affiche publicitaire des discothèque, les affiches et poster vendu dans la rue, etc.
    Je ne suis pas contre le piratage, ni pour non plus et vivant au Chili je peste contre les prix qui font barrage à l'accès à la culture, des livres, des disque et du cinema pour une population trop pauvre qui se tourne frustrée vers le moins cher : la copie illégale, le pirate, le faux.
    On ne peut pas les blêmer mais au contraire regretter que de telles initiatives comme celle contée ici, ne soit pas faite par des gens plus ", c'est à dire qui savent mieux jongler avec les lois pour ne jamais voir disparaître tout leur travail.
    Samuel a dit...
    Légal ou illégal ? Pirater ou acheter ? Doit-on se poser la question en des termes aussi dichotomiques ? Je ne pense pas. Le monde n'est pas binaire, il est beaucoup plus nuancé que cela. Notre cerveau a une composante binaire indéniable : ses deux lobes. Cela nous incite naturellement à ne voir que les deux branches qui s'opposent mutuellement. Les "méchants" Israéliens et les "gentils" Palestiniens est un exemple symptomatique (bien qu'on trouve aussi l'inverse...).
    En matière de création et de musique, il existe d'autres voies possibles. Je pense notamment à la démarche du site Magnatune (http://www.magnatune.com/) qui met à disposition de la musique sans intermédiaire avec un modèle d'affaire novateur. D'un point de vue plus général, et pour toutes sortes de créations artistiques, il y a également la licence CC (creative commons - http://creativecommons.org/about/). Peut-on vivre de ses créations artistiques avec de tels modèles ? Oui. Mais différemment. Voir le site de CC : http://wiki.creativecommons.org/FAQ#Can_I_still_make_money_from_a_work_I_make_available_under_a_Creative_Commons_licenses.3F

    Cette problématique est similaire à celle des logiciels libres offrant une réponse viable et mature à l'hégémonie des logiciels propriétaires, tout en permettant aux créateurs de gagner leur vie. Différemment.

    Soyons plus créatif, également dans nos modèles de sociétés !