lundi 25 janvier 2010

Torres, car l'image la plus célèbre du plus grand parc national du Chili, c'est deux tours de granit surplombant en à-pic un lac minéral, presque décoloré, deux tours grises, froides, la journée, et rouge au lever du soleil (allez faire un tour sur Google, car de cette scène-là, je n'ai rien rapporté). Paine, pour "bleu", en langage indigène. Le massif du Paine, en effet, composé de nombreux glaciers de formation récente, donne en permanence l'impression d'être bleuté - pas seulement la glace, la roche même.
242.000 hectares autour de ce massif bleu, donc, qui culmine à quelques 3000 mètres d'altitude - mais dans la plus grande partie du parc, on se situe entre 500 et 1500 mètres. 
A en croire les guides, le Parc se résume pour ainsi dire aux deux circuits qui ont été confectionnés dans le massif même, de 4 et 7 jours de marche. Nous avions pensé, dans un premier temps, faire l'un des deux. Puis nous nous sommes apercus que tout le monde fait cela, soit chaque jour l'équivalent de 8 bus touristiques qui débarquent à l'entrée du Parc. Hors ce n'était pas là notre idée de la Patagonie... 
Notre idée de la Patagonie, nous sommes allés la chercher dans les coins les plus reculés, pour finalement camper deux nuits dans une prairie déserte, abrités du vent par les arbres, et nous alimentant de l'eau de la rivière - un peu fraîche à vrai dire, mais tellement extraordinaire le matin, quand la pluie cesse et le soleil se lève par-dessus la montagne... Puis nous l'avons trouvée sur des sentiers absents des cartes, que nous ont indiqués les gardiens du Parc, ceux qui les utilisent pour leurs recherches sur la faune ou sur l'eau. Nous avons marché, parfois, plus de 4 heures sans croiser personne d'autre que quelques lièvres, des oiseaux, et même un couple de condor nichant au-dessus d'un lac gris, entouré de pierres volcaniques portant sur elles des marques de mousses fossilisées. Nous avons vu des scènes étranges, dignes du Seigneur des Anneaux, comme cette vallée d'arbres morts, brûlés il y a plus de trente ans, alors qu'il n'y avait pas encore de Parc, par ceux qui utilisaient la zone pour élever du bétail. Certains, miraculeusement, semblent revenir à la vie, creusés, noircis, avec pourtant quelques branches récentes en leur sommet. D'autres sont là figés, comme des squelettes, blancs et noir dans l'herbe rase. Et le nez dans celle-ci, des dizaines d'espèces botaniques différentes, souvent minuscules, des orchidées improbables, des mousses, toute une vie que la masse jaunâtre percue à distance ne laisse pas prévoir.

Le massif, magnifique, nous l'avons eu en permanence face à nous, par tous les temps (douze fois par jour les quatre saisons, il faut s'y faire...), sous tous les angles, avec au premier plan prairies, lacs, steppes arides, pierriers, et tant d'autres choses encore.
Et puis, nous avons vécu la Patagonie dans son essence, le vent, que détestent tant les gens du lieu. Quand vous demandez à un Patagon quel temps il fera, il a deux réponses: il y aura du vent, ou non. Et il préfère la seconde option, qui signifie en général un ciel bas, de la pluie fine et régulière, quelque chose de reposant, en somme. Un arrêt des hostilités. Car le vent, c'est un peu Lucifer, celui qui porte la lumière, qui balaie les nuages et les fait jouer, sous toutes leurs formes et sous toutes leurs couleurs, avec le paysage, mais celui, aussi, qui fait tout tourbillonner, qui vous soulève un homme avec son bagage de 15 kilos pour le jeter un mètre plus loin dans les broussailles (ou 15 mètres plus bas dans les rochers, c'est selon), qui rend parfois impossible tout mouvement, qui chasse jusqu'aux cailloux et vous les envoie à la tête. Le vent, le jour, provoque quelques averses bien violentes, même lorsque le soleil brille, des gouttes qui font mal tant elles fouettent. La nuit, il se lance comme un boulet invisible dans les vallés, siffle et rebondit contre chaque obstacle qu'il rencontre, avec un bruit qu'on ne peut entendre qu'ici. Hier, nous devions nous diriger en bateau vers le glacier Grey. Il y avait sur le lac des vagues impressionnantes, des creux sur lesquels le petit catamaran qui nous embarquait à sauté deux fois, s'écrasant littéralement sur l'eau, avant de rebrousser chemin et de nous ramener à notre point de départ, nous obligeant à renoncer à la seule excursion touristique du séjour. Le vent ne voulait pas, sans doute, que nous revenions à cette civilisation-là...

Le vent est maudit pour celui qui le subit tout l'année. Il fut, pour nous, l'assurance d'avoir bel et bien trouvé ce que nous cherchions, de la voir, de la sentir, cette Patagonie, dans ses ambiances les plus mystiques.


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