mercredi 5 mai 2010

Il y a dix jours s'achevait à Cochabamba, Bolivie, la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique. 
En décembre dernier,  Copenhague avait déjà, à sa manière - crevettes thaï, caviar sibérien, foie gras limousin, limousines américaines, jet privés d'un peu partout - célébré le climat et la rencontre des cultures... On en avait souri, le grand raout annuel sur le climat n'était plus crédible, on a vu ce qui est advenu de Kioto, laissons-là les beaux discours de ceux qui, moins qu'aucun de nous, ne se préoccupe du devenir de cette planète. D'autres ont pris le problème plus à cœur et, notamment face aux pressions inacceptables de quelques grandes puissances sur les petits pays, obligés semble-t-il de signer un accord-mascarade sous peine de représailles économiques, ont décidé de monter leur propre sommet mondial, un sommet des peuples, un sommet-réaction.
L'initiative était louable et intéressante, d'autant qu'elle était organisée par la Bolivie, pays concerné s'il en est par le changement climatique, les problèmes de sur-exploitation des richesses naturelles, d'écarts socio-écolo-économiques entre populations des villes et de la campagne, du nord et du sud, etc.
Seulement voilà. Quand un sommet de ce type convoque tout le beau monde de la juste et saine pensée actuelle, quand il s'ouvre sur cette phrase du Président Morales "Ou bien le capitalisme meurt, ou bien c'est la Terre Mère", repris en boucle par les représentants des 17 tables rondes, quand Naomi Klein vient nous gratifier d'une riche réflexion posant, notamment, la responsabilité des Etats-Unis dans les problèmes climatiques actuels et leur poids dans la politique mondiale, quand le grand message du sommet, c'est "prenons exemple sur le rapport à la nature des indigènes" (exemple certes édifiant, mais difficilement applicable, soyons honnêtes, dans nos contrées), on peut légitimement douter de son efficacité. Car oui, le capitalisme est aberrant. Oui, il faut changer nos comportements. Oui à tout, sur le fond. Mais non, nous ne pourrons pas changer le monde par des discours bien-pensants et des sensibleries.
La Conférence - un succès, cela va sans dire - s'est ainsi conclue sur la signature d'un "accord  des peuples" de dix bonnes pages, dont les principales prises de position sont:
  • Le paiement d'une dette climatique des pays industrialisés aux pays en voie de développement, de 6% de leur PNB.
  • La nécessité de mettre en place une Déclaration Universelle des Droits de la Terre.
  • L'institution d'un Tribunal International de Justice Climatique.
  • L'organisation le 2 avril 2011 un référendum mondial demandant aux citoyens s'ils sont d'accord... de faire passer les dépenses militaires en dépenses pour la sauvegarde de notre planète.
  • La possibilité, pour tous les peuples, d'accéder aux procès de négociation internationaux et d'y faire entendre leur voix.
De ces cinq propositions, une seule paraît à peu près réaliste et susceptible de faire avancer les problèmes écologiques et politiques de cette planète: la dernière. Mais là, on sort de l'écologie et on ouvre un chapitre plus complexe encore...
Le reste, c'est de l'idéalisme, de l'idéalisme que d'aucuns trouveront touchant, mais qui, personnellement, me hérisse le poil. Faut-il être fou ou complètement cynique pour oser lancer le référendum du quatrième point? Ou juste tellement épris de besoin d'audience internationale, qu'on est prêt à tout dire, même n'importe quoi, pour se faire entendre? Et quand la gauche comprendra-t-elle que les Seventies, c'est fini?
Tout cela ne pourrait être qu'ennuyeux et niais. Mais c'est en fait assez nauséabond, lorsque l'on sait que sur les 15'000 participants à ce grand sommet alternatif, la moitié étaient Boliviens et venaient dans l'espoir de récupérer des terres, de poser des questions sensibles (les grands barrages, l'exploitation du lithium, de la forêt amazonienne). Lorsque l'on sait, en outre, qu'en plus des "dix-sept tables de travail qui viennent d'en bas demander à être entendues en haut", il y en avait une dix-huitième, qui, refusée par le organisateurs, s'est tenue en dehors du site officiel de la conférence. Et devinez sur quoi elle portait? Justement, sur tous les problèmes écologiques sensibles de la Bolivie. L'hypocrisie est partout, à Copenhague comme à Cochabamba. Evo, tu me déçois, compadre!
Il n'y a qu'une véritable solution constructive aux problèmes du climat, avant que nous ne soyons contraints à adopter des lois répressives: l'éducation, au niveau des écoles en priorité, et la mise en place de structures basiques de tri et de recyclage dont manquent encore la plupart des pays du monde, et notamment l'Amérique latine. Or l'éducation ne passe pas par la poésie de la Vie en Harmonie avec la Terre Mère, sinon auprès de populations qui appliquent de toute façon déjà (ou depuis  toujours) ces principes, mais par un langage clair qui tende, progressivement, à nous faire prendre conscience du décalage entre nos besoins réels et notre mode de vie. Et en la matière, c'est ici, au nord, que le plus dur reste à faire.
J'arrête ici, car comme le dit si justement Eduardo Galeano: "L'inflation langagière a fait de grands dégâts, surtout en Amérique latine, où elle semble plus nocive encore que l'inflation monétaire."
Une dernière question, toutefois: combien y avait-il d'Iphones à Cochabamba?

Sources
  • La Conférence des peuples sur le climat a été couverte de manière relativement systématique par Le Courrier de Genève.
  • Vous pourrez lire les analyses de Naomi Klein sur son blog (dont vous apprécierez sans doute la page principale).
  • On trouve sur le site Rebelion le texte (en espagnol) de la déclaration de tous les peuples, ainsi que diverses interventions relatives au sommet.
  • La citation de Galeano est issue d'une lettre qu'il a adressée à la Conférence pour s'excuser de son absence.

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