lundi 10 mars 2008

3. 1946-1974 : la lente agonie du système démocratique et la naissance officielle des guérillas

L’assassinat de Gaitán plonge la Colombie, entre 1946 et 1953, dans la pire guerre civile de son histoire. 300'000 Colombiens trouveront la mort durant cette période que l’on désigne généralement comme « La violencia ». Les jours suivant l’attentat contre Gaitán, Bogotá est mise à sac par les combats entre des mouvements de révolte populaire et des groupes fascisants ; l’état de siège est déclaré. Dans les entreprises, les membres du parti libéral et les syndicalistes sont licenciés. L’État conservateur et l’Église fondent un nouveau syndicat ouvrier artificiel, qu’ils contrôlent complètement, pour lutter contre le gauchisme. En 1949, plusieurs représentants libéraux sont tués par balle pendant une séance du parlement. Quelques jours plus tard, un attentat visant un candidat libéral fait trois morts. Mise à genoux, la gauche modérée colombienne laisse le plein pouvoir aux conservateurs. Commence alors une nouvelle période d’alliance avec les États-Unis, non plus uniquement économique, mais également politique. En 1951, la Colombie s’engage aux côtés des États-Unis dans la guerre de Corée, et plusieurs troupes sont envoyées en Asie pour soutenir la guerre contre le communisme. En échange, la Colombie reçoit des moyens financiers et logistiques pour lutter contre le développement de la gauche radicale sur son territoire. En Europe, c’est Franco qui se charge de soutenir l’État colombien contre les communistes. Les mouvements révolutionnaires et communistes deviennent ainsi plus que jamais clandestins, et les petites organisations de guérilla qui étaient apparues dans les années ’30 renaissent.

Le 13 juin 1953, c’est un coup d’état qui met fin, pour un temps, à la guerre civile. Gustavo Rojas Pinilla, soutenu d’ailleurs par une partie des représentants des 2 partis, met en place une dictature militaire qui commence, pour calmer les esprits, par offrir l’amnistie aux guérillas si celles-ci déposent les armes. Cette tentative ne fonctionne qu’en partie. Rojas mobilise donc l’armée pour contrôler les zones périphériques où ont lieu les combats. Les journaux d’opposition sont interdits, le parti communiste également − ce qui ne fait que renforcer les engagements dans les mouvements de guérilla. Malgré cela, le pays retrouve une relative stabilité. En 1957, une alliance libérale-conservatrice renverse Rojas et met en place le Front Nacional, d’abord emmené par le parti libéral. Le but de l’alliance est une union nationale qui fait alterner par mandats de 4 ans les présidents libéraux et conservateurs. Cette politique durera en Colombie jusqu’en 1974 avec les conséquences suivantes : pour éviter les crises économiques, les coups d’état ou de nouvelles confrontations sanglantes entre libéraux et conservateurs, bref, pour garantir un certain statut quo du pays après les années de dictature militaire, on se préoccupe avant tout de garantir le bon fonctionnement des exportations et l’entrée de capitaux étrangers. Au niveau social, aucune proposition progressiste n’est faite, pour éviter de fâcher les représentants de droite. En revanche, un sévère contrôle de la natalité est mis en place dans un pays toujours menacé par la crise économique et qui peut difficilement cacher la misère de sa population : au début des années ’60, 50% de la population active du pays vit dans la pauvreté absolue ; dans les milieux de la main d’œuvre rurale, ce taux est de 67%.

On comprend dès lors pourquoi, dans ce contexte, qui depuis 1959 est également celui de la Révolution cubaine, des groupements guérilleros mieux organisés et surtout beaucoup plus importants qu’auparavant peuvent voir le jour. La politique d’état totalement immobiliste sur le plan des droits sociaux et humains, préoccupée uniquement de garantir une fragile entente entre deux factions politiques qui, depuis 100 ans, ont conduit à des déchirures systématiques du pays, abandonne les intellectuels progressistes, les ouvriers ou les petits paysans qui trouvent dans les discours du prêtre communiste Camillo Torres, de Che Guevara ou de Fidel Castro des idées bien plus proches de leur situation que dans celles qu’énoncent leurs dirigeants. Se forment alors, depuis le début des années ’60, nombre de groupes gauchistes, armés ou non, dont les plus importants sont :

- les FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes), fondées officiellement en 1966, mais dont les activités avaient commencé dans les années ’50. Pour échapper à la répression militaire mise en place par Rojas Pinillas, de nombreux paysans avaient en effet organisé des mouvements d’autodéfense et s’étaient appropriés des régions très périphériques qu’ils cultivaient. En 1957, des républiques indépendantes s’étaient même autoproclamées dans les forêts de l’ouest du pays. En 1964, ces mouvements se répartissent dans plusieurs zones du pays pour entreprendre une vaste réforme agraire, et si l’État envoie des forces armées importantes pour détruire les républiques indépendantes, ils ne peuvent venir à bout des guérilleros. Les FARC, à l’origine d’obédience soviétique, sont intimement liés au monde rural de la Colombie, ce qui n’est pas le cas des autres groupes révolutionnaires.

- l’ELN (Armée de libération nationale), groupement formé en 1964 par des intellectuels marxistes, dont une bonne part, surtout du côté estudiantin, était partie s’engager à Cuba. La préoccupation première de l’ELN est la lutte contre la présence des États-Unis en Colombie. Ses cibles privilégiées sont les oléoducs, les exploitations pétrolières et les multinationales.

- l’EPL (Armée populaire de libération), née en 1967, représente la pensée maoïste. Il s’agit ici encore, majoritairement, d’intellectuels, mais ce groupe, par rapport à l’ELN ou aux FARC, était très minoritaire. Dans les années 1990, une partie de l’EPL s’est rapprochée des FARC, formant le groupe FARC = EP, alors que d’autres déposaient les armes pour entrer en politique.

- Enfin en 1972, l’Alliance nationale populaire, nouveau parti indépendant, manque de peu, lors des élections, de mettre fin au Front Populaire. Convaincus qu’il s’agit là d’une fraude électorale, certains représentants du groupe prennent les armes et forment le mouvement M-19. La spécificité de ce dernier est de limiter ses actions aux milieux urbains, focalisant essentiellement son attention sur l’attentat politique.

Les actions des groupes armés restèrent relativement restreintes jusqu’en 1974. Il faut d’ailleurs préciser qu’en 1975, l’ensemble de ces mouvements ne rassemblait que 500 guérilleros (contre un millier en 1957, lorsqu’il ne s’agissait encore que de groupes agraires d’autodéfense, et 25'000 aujourd’hui…). Ce sont des circonstances économiques et politiques qui vont conduire les mouvements révolutionnaires, et notamment les FARC, à gagner l’ampleur qu’ils connaissent aujourd’hui.

4. Autour du marché de la drogue (1974-1990)

Retour au début

0 Commentaires: