mardi 8 avril 2008

Pour actualiser mon récent dossier sur la Colombie, voici un article d’Antoine Menusier paru le 7 avril dans La Liberté de Fribourg.

Antoine Menusier a rencontré Adair Lamprea, ex-collaborateur d'Ingrid Bétancourt, aujourd'hui réfugié à Paris après avoir été otage des FARC et des para-militaires. L’interview du Colombien est précédée d’une brève présentation de ses mésaventures, qui montre combien l’information dont nous bénéficions peut-être sinon partiale, du moins incomplète.

ENLEVÉ PAR LES FARC ET LES PARAMILITAIRES

Il marche avec des béquilles. Déchirure musculaire. «Je me suis fait ça dans les escaliers, accident du travail», dit-il avec un accent sud-américain. Adair Lemprea, 37 ans, est livreur à Paris. Un boulot alimentaire en attendant un job correspondant à sa qualité d’«ingénieur de l’environnement et sanitaire». Diplôme qu’il a étoffé de deux années d’études à son arrivée en France, en 2004. En Colombie, il était spécialisé dans le traitement des eaux usées. Une fibre écologiste qui l’amène à rencontrer Ingrid Betancourt. Il devient son responsable «logistique » lors de la campagne présidentielle de 2002.

Le jour de l’enlèvement, il lui sert de chauffeur. Ils sont cinq dans la voiture, dont Clara Rojas, un photographe et un cameraman. Les FARC les embarquent tous. Les deux femmes sont emmenées séparément dans deux voitures, les trois hommes dans un seul véhicule, dans une autre direction, vers le sud. Ils seront libérés le lendemain, pour témoigner de l’enlèvement des deux femmes.

Libre, Adair Lemprea n’est pas au bout de ses peines. Quelques mois plus tard, il est capturé à Puerto Boyaca en compagnie de son frère, par les paramilitaires, cette fois. Ils veulent en savoir plus sur son compte. Trois fois, un pistolet pointé sur sa tempe, il suppliera ses geôliers de le laisser en vie. Le lendemain de cet enlèvement, lui et son frère parviennent à s’échapper. «Les paramilitaires sont de pires terroristes que les FARC», dit-il. «Il y a quelques mois, dans le nord du pays, ils ont tué des homosexuels et des voleurs, non pas pris sur le fait, mais exécutés froidement.»

Début 2004, le Département administratif de la sécurité somme Adair Lemprea de lui livrer deux «noms», les soit-disant auteurs du kidnapping d’Ingrid Betancourt. L’ex collaborateur de la candidate est formel: ce ne sont pas ces deux «noms». Mais les autorités veulent des coupables. Elles diffusent la fausse information. Adair Lemprea rétablit la vérité peu après dans un journal. Il est alors menacé de mort. Aidé par la France qui lui délivre un visa, il fuit. Il n’est jamais retourné depuis dans son pays.

ADAIR LEMPREA DÉNONCE CEUX QUI ONT TRAHI INGRID BETANCOURT.

LIBÉRATION DES OTAGES DANS L’IMPASSE

Adair Lemprea signe «Parce qu’ils l’ont trahie». Après la mort du seul interlocuteur des FARC,Raoul Reyes,il ne voit pas comment les otages, dont Ingrid Betancourt,pourraient être libérés dans les semaines à venir.

Mission humanitaire envoyée mercredi en Colombie, manifestation vendredi à Bogota, marche hier à Paris: la mobilisation pour la libération d’Ingrid Betancourt et de tous les otages retenus par les FARC ne faiblit pas. Libéré par le groupe terroriste le lendemain de l’enlèvement de la candidate, Adair Lemprea, réfugié en France et auteur d’un livre à paraître*, est l’un des meilleurs connaisseurs de la situation colombienne.

Croyez-vous à une libération prochaine d’Ingrid Betancourt?

Adair Lemprea: Je suis pessimiste. Nous assistons à la répétition de ce qui s’est passé voici cinq ans. Il y a deux mois, la France, la Suisse et l’Espagne comme à l’époque déjà, sont à nouveau entrées dans le jeu. L’Eglise offre une nouvelle fois sa médiation. L’avion «humanitaire» qui vient de partir de France est le même que celui qui avait essayé de récupérer Ingrid Betancourt il y a quatre ans au Brésil. La semaine dernière, l’otage est allée dans un centre de santé des FARC, comme il y a cinq ans. Tout se répète.

Pourquoi ne pas y voir des signes encourageants?

Ces signes apparemment positifs masquent une réalité qui ne l’est pas. Il y a deux mois, et c’était une première de leur part depuis dix ans, les FARC ont accompli un geste politique en libérant sans condition sept otages, dont Clara Rojas et Consuelo Perdomo. Et quelle a été la réponse du Gouvernement colombien? Il a tué le 1er mars dernier l’interlocuteur des FARC, Raul Reyes. Après cela, je ne vois pas comment les otages pourraient être libérés dans quelques jours ou quelques semaines.

Sait-on exactement où se trouve Ingrid Betancourt?

Non. Une jungle impénétrable recouvre les trois quarts de la Colombie. Elle devrait être dans une zone située aux confins de la Colombie, du Venezuela et du Brésil. Sur une superficie de trois ou quatre fois le territoire de la Suisse.

Que veulent les FARC?

Les Farc, qui sont entre 10000 et 17000, demandent un échange de prisonniers: 500 guérilleros en prison contre la libération de tous les otages politiques et militaires, soit 42 personnes, dont trois Américains. Les FARC veulent également la libération de deux des leurs extradés aux Etats-Unis, Simon Trinidad et Sonia. Elles exigent au préalable la démilitarisation d’une zone de 800km2 environ, dite de Florida et Pradera, où l’échange pourra s’opérer dans des conditions de plus grande sécurité pour elles Les exigences des FARC n’ont pas varié depuis six ans.

La position du gouvernement?

Le gouvernement ne veut pas entendre parler de la démilitarisation de la zone de Florida et Pradera. Il exige une libération unilatérale des otages. Il ne connaît qu’un seul langage, celui de la force. En 2003, une intervention armée pour libérer des otages retenus par les FARC s’était conclue par la mort de deux d’entre eux, un ex gouverneur et un ex-ministre de la Défense, ainsi que par celle de huit soldats. Pour moi, cela veut dire que l’Etat colombien joue avec la vie des otages.

Quelle est la stratégie à long terme du président Uribe?

Il a été élu comme le président de la guerre contre les FARC, alors que son prédécesseur, Andrés Pastrana, avait été élu pour faire la paix. Uribe n’a pas intérêt à une libération d’Ingrid Betancourt. Elle est la première personne dans l’histoire de la Colombie qui a dénoncé la corruption en nommant les corrupteurs et les corrompus. Des intérêts politiques plaident selon moi pour le maintien d’Ingrid Betancourt dans la jungle ou sa mort dans la jungle.

Quelle solution préconisez-vous pour sortir la Colombie du conflit?

Je pense que les FARC, en libérant sept otages unilatéralement, ont changé de position par rapport à leur intransigeance qu’elles affichaient en toute circonstance dans le passée. Il y a peut-être une solution politique possible, notamment en raison d’une conjoncture internationale plutôt favorable. La communauté étrangère parle abondamment des FARC. Cela signifie que cette armée de guérilleros a gagné en importance. Mais il ne faut pas aller trop vite en besogne. La mort de Raul Reyes marque sans doute la volonté du pouvoir de montrer à l’opinion publique colombienne qu’il est capable de résultats militaires face à la guérilla.

Que devrait faire le gouvernement après la libération des sept otages?

Une partie de la résolution du problème réside peut-être en Europe, comme l’a préconisé le président vénézuélien Hugo Chavez – qui est au passage la seule personne crédible dans cette affaire car il a la confiance des FARC. L’Union européenne devrait envisager de sortir les FARC de la liste des groupes terroristes afin de les classer comme groupe belligérant. Ou alors, l’UE pourrait dire que la Colombie vit un conflit armé, ou une guerre civile. Le choix des termes a son importance. Je ne dis pas que les FARC ne sont pas des terroristes. Leur manière de tuer montre que ce sont des terroristes.

Qu’est-ce que cela changerait pour le Gouvernement colombien si les FARC étaient reconnues comme belligérants?

A ce moment-là, le président Uribe serait tenu de conclure l’accord humanitaire d’échange de prisonniers. C’est le sens de l’appel d’Hugo Chavez à l’Europe après la libération, notamment, de Clara Rojas et Consuelo Perdomo. Or, Alvaro Uribe ne veut pas de ce changement de classification des FARC. D’où sa venue précipitée en France, en Suisse et en Espagne pour y réaffirmer le caractère terroriste de la guérilla. I

*Adair Lemprea, Parce qu’ils l’ont trahie, Hachette Littératures, à paraître le 23 avril.

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