lundi 17 mai 2010
Depuis Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin, en 2007, le documentaire écologique a le vent en poupe et adopte toutes les formes possibles et imaginables pour nous sensibiliser aux déviances de notre modernité et aux urgences qu'elles engendrent: la démonstration culpabilisante (Hulot), le message esthétique (Arthus-Bertrand), l'enquête révélant l'impensable (Robin). Le procédé de base est toujours le même: éveiller une conscience, si possible en passant par la révolte ou, de manière moins franche, par l'attendrissement. Et, surtout, placer l'homme au centre de l'argumentation: car si la nature souffre de nos excès, l'homme lui-même - le spectateur - est également une victime qui, le plus souvent, s'ignore.
On peut se demander pourquoi le discours écologique, aujourd'hui, malgré son évidence, peine tant à être entendu du public (je ne parle donc pas, pour l'instant, des structures politiques mais bien de toi, qui trouve insupportable de lire des articles aussi longs sur un écran). A mon avis, le problème se situe à quatre niveaux:
- D'abord, et malgré l'urgence, à trop répéter toujours le même message dans les mêmes termes, avec les mêmes exemples, etc., on transforme un discours nécessaire en bruit de fond inutile et vain. L'urgence écologique étant devenue avant tout, pour beaucoup, un argument politique, elle rejoint les autres rengaines à la mode qui rythment nos flashs infos et nos débats. L'ours blanc disparaît pendant qu'on cuit sa ratatouille, paix à son âme et bon appétit.
- L'écologie, dans le discours de ceux qui la soutiennent, est trop souvent l'affaire de Ceux Qui Savent et qui, au lieu d'informer, culpabilisent systématiquement leur interlocuteur. Ajoutez à cela que Ceux Qui Savent sont dans la plupart des cas, force est de le constater, ceux qui ont les moyens (de manger bio, de se payer des médecines complémentaires, de vivre autrement), et on en arrive à quelque chose d'assez insupportable dans la posture du donneur de leçon écologique: ici, c'est le bobo qui instruit le banlieusard; à un niveau plus global, l'Occidental qui a abusé pendant 50 ans, qui vient expliquer aux pays en voie de développement qu'il faut arrêter de se développer...
- Une race alternative à Ceux Qui Savent sont Ceux Qui Ont Trouvé La Solution sous forme de projet idéaliste. Interdisons la consommation de viande un jour par semaine. Lançons un référendum mondial contre le réchauffement climatique. Certes. Et le bruit de fond s'amplifie, et on finit par éteindre la radio pour manger sa ratatouille plus tranquillement.
- Le catastrophisme n'a jamais été la solution. Oui, la situation est urgente; lorsqu'on se penche sur les grands dossiers écologiques, on oscille irrémédiablement entre l'envie de se suicider et celle d'aller poser des bombes, mais soyons raisonnables et avant d'en arriver là, proposons des solutions. Les accents tragiques ne suffisent plus.
Le film de Coline Serreau (on y arrive...), Solutions locales pour un désordre global, a cet immense mérite de constater, de tirer la sonnette d'alarme, de nous donner cette sensation que le plancher du cinéma s'écroule progressivement sous nos fesses de citoyens du Nord sur-consommateur, tout en montrant que partout, des efforts sont faits pour changer les choses.
L'idée est ici de remettre en question la belle notion de "Révolution verte", d'expliquer sur quoi elle est fondée, historiquement, politiquement et sociologiquement, pour démontrer finalement que l'urgence écologique est aussi une urgence alimentaire, qui ne concerne pas seulement le Sud lointain, mais aussi, justement, le bobo parisien qui fait sagement son marché bio (ou pas). En gros, celui qui se fout bien de l'ours blanc tant qu'il a de la ratatouille dans son assiette sera peut-être sensible au fait que l'autonomie alimentaire mondiale est de 20 jours; 4 pour l'Île-de-France. En France, mais aussi au Brésil, au Maroc, en Ukraine ou en Inde, Coline Serreau montre comment certains ont pu, envers et contre toutes les pressions politiques, reprendre en main leur mode de production, arrêter le massacre aux pesticides, OGM et autres désastreux miracles technologiques, pour redonner naissance à une économie plus saine, dans tous les sens du terme. Car l'écologie bien menée peut également donner lieu à un meilleur rendement. Donner une chance à l'agriculture locale et raisonnable non pas de survivre, mais de resurgir, voilà ce que suggère le film de Serreau, tout en donnant des pistes concrètes.
Le problème écologique est avant tout un problème économique. Si tout semble tourner au ralentit, si tout finit par être transformé en discours, voire en chansons, c'est qu'au-delà des volontés réelles, un ordre global complètement dément, basé sur la Trinité Industrie-Croissance-PIB, rend actuellement impossible toute action qui tente de s'attaquer à la sacro-sainte logique de la consommation.
Toute action?
Non. Et c'est là que Coline Serreau fait bien, en nous rappelant une évidence qu'on a trop souvent tendance à oublier. Si tout est bloqué, en haut, tout est ouvert, en bas. Et c'est en refusant de consommer un certain nombre de produits, en trouvant à la production de masse des solutions alternatives locales, pas forcément plus chères, bien au contraire, qu'on peut agir sur la déesse économie. Avant les bombes (qui, de toute façon, sont produites par les mêmes qui font les pesticides que tu bouffes dans ta ratatouille), le boycott.
Toutes les pistes sont données dans le film, dans un discours à la fois informé, scientifique et extrêmement clair, qui exclut tout sentimentalisme et ne se prive pas d'humour. Un film énergique, en somme.
D'aucuns préféreront peut-être le site associé. Car hélas, il y a un grand défaut au documentaire de Serreau: marquant sans doute par là son refus des grands moyens et l'esthétisme à outrance de certains, la réalisatrice nous propose plus de deux heures d'images tournées caméra sur l'épaule, avec des zooms en surnombre et souvent plus qu'approximatifs. Un peu vomitif, pour être franc. Encore une preuve que la clarté du discours ne va pas forcément avec la netteté de l'image...
A voir et à lire pour élargir son horizon:
- Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto, 2007.
- Jawad Rhalib, El Ejido, La Loi du profit, 2007.
- Nicolas Hulot, Le Syndrome du Titanic, 2009.
- Yann Arthus Bertrand, Home, 2009.
- Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global, 2010, et le site du film.
- Le blog Objectif Terre des Hommes: les éco-technologies au service de l'épanouissement humain.
Cartographie: Brésil, Ecologie, Lutte pour la dignité
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