mercredi 5 novembre 2008

Obama élu.

Symboliquement, la nouvelle a quelque chose de fort, de réjouissant, de soulageant peut-être, pour tous ceux qui ne croyaient pas, ou plus, aux promesses des sondages. Un visage radicalement différent, une autre manière de concevoir le rôle des Etats-Unis dans le monde, une jolie gifle aux racistes de tout poil (ce qui est toujours bon à prendre!) et l'espoir, peut-être, que la bêtise ne soit plus seule maîtresse à bord du grand navire états-unien.

Concrètement, c'est une autre histoire. Barak Obama récupère une nation submergée par sa crise. La première urgence des Etats-Unis, aujourd'hui, en 2009, et vraisemblablement pour les prochaines années, c'est de trouver une solution pour redresser les finances nationales, relancer la consommation, regagner la confiance de l'opinion internationale sur le plan des investissements - sans parler de l'image. Les optimistes parleront d'un nouveau modèle à construire. Mais ne rêvons pas: on ne révolutionne pas les mentalités en quelques mois (1). Le capitalisme à l'américaine ne date pas d'hier, il est né à la fin du XVIIIe siècle et il est peu probable qu'il meurt au XXIe... Il s'agira vraisemblablement de trouver quelques solutions rapides et très terre-à-terre pour redonner un peu d'éclat aux chiffres de Wall Street, de colmater les brèches puis, lentement et toujours dans une perspective optimiste, de réfléchir aux manières d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise - le tout sans déchaîner trop de passions, trop de foudres, trop d'oppositions impossibles à gérer dans le système des deux chambres.

Et ailleurs, dans le monde?

Face à ces priorités internes, la politique extérieure aura-t-elle une place? L'Irak a cessé d'exister, dans nos médias et dans les discours, sinon comme simple formule rhétorique, depuis le début des chutes financières en septembre. L'Irak qui a coûté bien plus cher aux Etats-Unis que la crise. L'Irak où une bonne partie des soldats américains engagés sont convaincus d'accomplir une mission humanitaire indispensable, suivis en cela par un pourcentage non négligeable de l'opinion publique pour qui plusieurs attentats quotidiens visant en priorité un peuple dont ils ignorent tout vaut mieux que l'humiliation d'un 11 septembre.

Et l'Amérique latine? Qu'a-t-elle à attendre d'Obama? Beaucoup, si l'on en croit le début du discours qu'avait tenu ce dernier le 23 mai 2008, sur "la rénovation du ledarship des Etats-Unis au sein des Amériques" (2). "Respect mutuel", "collaboration", "autodétermination" furent les maître-mots de cette représentation progressiste d'une Amérique unie par une véritable alliance intracontinentale, qui traiterait les problèmes "de bas en haut", et dont le principe serait: "ce qui est bon pour les peuples des Amériques est bon pour les Etats-Unis". Il n'y pas de doute à émettre sur la bonne foi d'Obama dans ce discours. Mais deux problèmes se posent, malgré tout: d'abord, le fait que ce projet d'alliance avec l'Amérique latine concernait en priorité trois pays jugés "plus sûrs" que les autres: le Mexique, la Colombie, et le Brésil. Autrement dit le voisin problématique, le puits sans fond de richesses naturelles, allié éternel des Etats-Unis, et le monstre de l'économie latino-américaine. Là encore, il ne s'agit pas d'hypocrisie de la part d'Obama, mais de réalisme politique. Imaginer les Etats-Unis d'aujourd'hui, même guidés par un président relativement à gauche, tendre la main aux pays qui, depuis une dizaine d'année, tentent d'affirmer leur indépendance, leur droit à l'autodétermination et à la gestion de leurs richesses naturelles, à travers des choix politiques qui ne sont pas même concevables par une grande majorité de la classe politique et de l'électorat états-uniens, c'est de l'utopie.

Le grand espoir de "l'ère Obama", en parlant d'Amérique latine, subsiste pourtant dans le premier mot-clé prononcé le 23 mai 2008 par le candidat à la présidentielle: le respect. Avec Obama, on peut tenter d'imaginer un monde où sans être d'accord, sans partager les vues des autres nations, en condamnant même certains de leurs choix sur le plan idéologique, les Etats-Unis soient capables de ne pas sanctionner, de ne pas intervenir, de rester à leur place de nation, puissante sans doute, mais dont les prérogatives ne dépassent pas celles des autres. Un monde où de simples mots valent mieux que des mesures de rétorsion, par l'argent ou par les armes.

Rêvons donc modestement, ce 5 novembre 2008, en attendant que l'Amérique latine se réveille et nous dise ce qu'elle pense de tout ça, un monde où le fameux "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" soit un tout petit peu plus respecté. Simple rêve, sans doute, mais qui mérite qu'on s'y arrête, et qui vaut bien toutes les promesses de Grand Changement!

(1) Voir à ce propos l'édito de Benito Perez dans Le Courrier du lundi 3 novembre 2008.

(2) Voir à ce propos l'article de Tom Barry du 25 août 2008: "Obama, Latin America and FDR", publié en anglais et en espagnol sur le site Americas Policy Program.

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